“Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux…” (René Char)

Publié par SEO380041 le

Il est des croyances qui se maintiennent, malgré ce qu’a pu apporter de profondément neuf et décisif la psychanalyse. Freud a très tôt indiqué “l’existence” d’une Autre scène, celle de l’Inconscient. Inconscient qui ne se révèle que par ses effets, et ses formations : lapsus, trait d’esprit, rêve, symptôme, acte manqué. Nous sommes aliénés à notre Inconscient, marqués par les signifiants de l’Autre, ajoutera Lacan. Quel scandale ! Alors comme ça nous ne serions pas maîtres de notre destin, de nos choix, de nos paroles ? Mieux vaut pour certains ignorer cette nouveauté du sujet que la psychanalyse apporte, sujet à qui le savoir échappe fondamentalement. Nouveauté au regard de deux mille ans de philosophie, où il n’a pas fait de doute – à quelques exceptions près – qu’à un savoir était adjoint un sujet.

D’autres par contre s’intéressent à cette partie d’eux-mêmes, forcés qu’ils le sont par des symptômes gênants, embarrassants, qui se répètent, qui persistent et qui créent chez eux toutes sortes d’empêchements qu’ils aimeraient bien voir tomber, chuter. Ceux-là ont décidé de prendre leur vie au sérieux, et d’aller parler à un psychanalyste, après avoir essayé, par ailleurs, pour quelques-uns, toute une série de pratiques paramédicales inefficaces. Souvent, et c’est le cas de le dire, on vient nous voir en désespoir de cause !

Lorsqu’un sujet, alors, demande une analyse, à partir de l’offre que l’analyste lui fait, que se passe-t-il ? Quelles sont les règles de ce travail qui devra – c’est aussi quelque chose qui doit pouvoir être accepté de l’analysant – s’inscrire dans une temporalité certaine, longue le plus souvent ?

Lacan écrit dans le séminaire D’un Autre à l’autre (leçon du 13 novembre 1968) :

“Que faisons-nous dans l’analyse, sinon d’instaurer par la règle un discours tel que le sujet y suspende quoi ? Ce qui précisément est sa fonction de sujet, c’est-à-dire qu’il y soit dispensé de soutenir son discours d’un « je dis », car c’est autre chose de parler que de poser : « je dis ce que je viens d’énoncer ».
Le sujet de l’énoncé dit « je dis », dit « je pose » comme ici je fais dans mon enseignement. J’articule cette parole. Ce n’est pas de la poésie. Je dis ce qui est ici écrit et je peux même le répéter – ce qui est essentiel – sous la forme où, le répétant pour varier, j’ajoute que je l’ai écrit.

Voici ce sujet dispensé de soutenir ce qu’il énonce (…)

Mais observez ceci, c’est que parlant de La Chose freudienne, il m’est arrivé de me lancer dans quelque chose que moi-même j’ai appelé une prosopopée. Il s’agit de La Vérité qui énonce : « Je suis donc pour vous l’énigme, celle qui se dérobe aussitôt apparue, hommes qui tant vous entendez à me dissimuler
sous les oripeaux de vos convenances. Je n’en admets pas moins que votre embarras soit sincère. »
Je note que le terme « embarras » a été pointé pour sa fonction ailleurs. « Car même quand vous vous faites mes hérauts, vous ne valez pas plus à porter mes couleurs que ces habits qui sont les vôtres et pareils à vous-même, fantômes que vous êtes. Où vais-je donc passer en vous, où étais-je avant ce passage ? Peut-être un jour vous le dirai-je. » – Il s’agit là du discours – « Mais pour que vous me trouviez où je suis, je vais vous apprendre à quel signe me reconnaître. Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi la vérité, je parle. »
Je n’ai point écrit « je dis ». Ce qui parle assurément, s’il venait – comme je l’ai écrit ironiquement aussi – l’analyse, bien entendu, serait close. Mais c’est justement ou ce qui n’arrive pas, ou ce qui, quand cela arrive, mérite d’être ponctué d’une façon différente. Et pour cela, il faut reprendre ce qu’il en est de ce sujet qui est ici mis en question par un procédé d’artifice auquel il a été demandé en effet, de n’être pas celui qui soutient tout ce qui est avancé. Ne pas croire pourtant qu’il se dissipe, car le psychanalyste est très précisément là pour le représenter, je veux dire pour le maintenir tout le temps qu’il ne peut pas, en effet, se retrouver quant à la cause de son discours”.

Lorsque je parle, je ne peux en même temps dire “je dis” ! Car précisément, et c’est ce qui peut paraître inacceptable à beaucoup, je ne sais pas ce que je dis. Et en même temps, le discours que je tiens, entre les lignes, “renferme” un savoir, un savoir que j’ignore et qui est pourtant là, agissant, un savoir insu. C’est, notamment, à ce déchiffrage qu’est invité l’analysant, à en savoir un bout, accompagné de l’analyste, qui est là, ce sujet, pour le représenter le temps nécessaire à ce qu’il puisse repérer, de son discours, ce qui le cause.

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