En thérapie
En thérapie – série diffusée actuellement sur Arte – est l’adaptation par Éric Toledano et Olivier Nakache de la série israélienne BeTipul qui a été diffusée en Israël entre 2005 et 2008. Adaptée dans plus de 15 pays dans le monde, il a fallu 15 ans pour qu’une adaptation dans le pays de la psychanalyse voie le jour !
Mieux vaut tard que jamais !
Ainsi, nous voilà embarqués comme spectateurs, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, dans le cabinet du psychiatre et psychanalyste Dr Philippe Dayan. Les épisodes se succèdent par série de 5 représentant une semaine de rendez-vous. Ainsi nous découvrons et suivons au fil des semaines Ariane, Adel, Camille, Léonora et Damien. Sans oublier bien sûr Esther, dont la présence et la fonction sont nécessaires au dispositif analytique, et avec laquelle Philippe Dayan est en “contrôle”.
Après des décennies de reproches (parfois d’ailleurs justifiés), où la psychanalyse fut décriée, dénigrée, jugée comme une méthode inefficiente (cf. le rapport de l’Inserm de 2004), quelle surprise de trouver, à l’usage du grand public, une série qui fait entrer le spectateur dans le cabinet d’un analyste, joué de surcroît par un acteur qui n’ignore pas ce que parler veut dire, lui-même étant dans la vraie vie en analyse. Nous y entendons l’inconscient des patients et celui de l’analyste, grâce à une écriture précise, ciselée, qui n’en laisse pas moins place à tous les trébuchements de la parole, et “aux déchirures du discours” comme l’écrivait Benveniste. C’est remarquablement joué, et Dayan au-delà de l’écoute, tente ce travail de “déchiffrage” dans le discours lui-même, et fait des liens. Ainsi, il accueille, mais il parle aussi, propose ses hypothèses au patient, sans jamais les lui imposer.
Ce qui frappe immédiatement, c’est l’absolue singularité de chaque demande, à laquelle le psychanalyste est attentif, qu’il accueille, qu’il entend, mais sans y répondre en miroir, car il il sait que demande et désir sont deux choses différentes, et que c’est en ne répondant pas à la première qu’on laisse une chance au second. Comme avec Camille par exemple, jeune femme de seize ans, qui vient lui demander “un rapport de contre-expertise pour l’assurance”, suite à son accident de vélo. L’analyste l’invite à parler de son accident, plutôt que de lire le rapport qu’elle lui tend, puis l’invite à parler d’elle. Ce qui intéresse l’analyste, c’est l’énonciation de Camille, c’est son dire, ce sont ses paroles, et non pas les mots qu’un autre a posés sur l’évènement dans un rapport. Il lui explique aussi qu’il n’est pas si évident de répondre à sa demande, et lui parle de son travail, “où on n’enregistre pas des faits objectifs”. Il a besoin de mieux la connaître, dans son discours. Il lui suppose un savoir, et souhaite qu’elle lui “explique ce qu’elle ressent”. Certes Dayan finit par lire ce rapport, car il entend, qu’à défaut, Camille ne reviendra pas lui parler. C’est une manière pour lui de maintenir le lien, mais il n’est pas sans savoir que tout n’y est pas dit. A un moment, Camille lui dit que sa mère croit que ce qui y est écrit, c’est la vérité. Il l’interroge alors : “Quelle vérité ?”
Alors que la jeune femme s’impatiente, refuse ses interprétations, les hypothèses qu’il formule au sujet de l’accident, il lui dit ceci, il l’interpelle : “Camille, Camille, je ne cherche rien de plus que comprendre précisément votre demande, et je veux que vous compreniez mieux de votre côté ce que vous êtes venue chercher ici”. Par cette simple phrase il lui signifie qu’elle ne sait pas tout de sa demande, et qu’un savoir, insu, cache une “vérité insoupçonnée”, comme dans la nouvelle d’H. James, Une image dans le tapis. Le travail d’un analyste est un travail qui s’effectue toujours à trois : le patient, l’analyste et l’Inconscient, que Lacan – sur les théorisations desquelles, avec celles de Freud, la série s’appuie – a nommé le grand Autre. Ce trois représente l’altérité, l’Autre en soi, dont on peut connaître un bout en allant parler à un analyste. Dayan, par son acte de poser l’inconscient, ouvre cette dimension Autre pour Camille qui peut, en retour, lui supposer un savoir, et entrer dans la parole.
Est-ce un hasard, d’ailleurs, si les épisodes ont été réalisés par des scénaristes différents ? Je ne le crois pas. C’est à chaque fois un regard Autre qui est porté sur le scénario : l’altérité, qui n’est autre que l’Inconscient, se trouve au cœur du dispositif de création et de montage de la série. Comment ne pas penser que cela était inévitable, dans une série qui tente de rendre compte de l’Autre en soi ?
Eric Zuliani, psychanalyste, qui analyse la série dans le magazine Marianne, rappelle la nécessité “qu’il y ait des lieux où dire ce que l’on ne comprend pas de soi-même, des lieux – qui se font rares -, où l’on peut loger sa folie aussi. Il y a une utilité sociale d’une pratique orientée par la psychanalyse, en cabinet ou en institution, qui fait accueil tous les jours à ce que « la langue que parlent les gens » dit de réel, et qui ne trouve sa matérialité ni dans le cerveau ni dans les neurones. Ce qui se dit en séance troue le mur des discours courants et des savoirs établis qui égarent sur le sens de ce qu’est une existence pour chacun. Ceux qui font une analyse témoignent du plus de vie qu’elle permet d’introduire dans son existence grâce à un usage retrouvé du désir“.
C’est ce que tente de montrer la série, qui bien sûr reste une fiction, avec ses défauts, ses limites, ses invraisemblances. Mais au-delà d’eux, n’est-ce pas cette parole – adressée à un psychanalyste engagé en qui elle a pu faire confiance – qui a permis à Camille de s’y retrouver dans son désir ?
N’est-ce pas d’ailleurs la parole en acte qui est l’acteur principal de la série ? Tenter de rendre compte de cette expérience réelle qu’est l’écoute analytique dans les effets qu’elle produit, et ce sans masquer les difficultés, les doutes, les échecs, était une gageure. C’est plutôt très réussi.