La psychanalyse, envers de la victimologie
Il est évident que le discours social, aujourd’hui, est marqué par ce qu’on appelle la victimologie. Mais qu’est-ce exactement ? C’est simple : c’est une manière de remettre la responsabilité de ce qui m’est arrivé sur l’autre, qui devient alors cause de mon malheur. Les témoignages sont légion sur la toile, où il s’agit d’énoncer, de dénoncer LA vérité en l’exhibant avec moult détails, et souvent d’ailleurs de manière anonyme.
La difficulté principale avec le témoignage, c’est qu’il se limite à dire ce que je sais. Or, ce qui me mène, c’est-à-dire l’inconscient, ne gît pas dans ce que je sais. Il se loge précisément dans ce que je ne sais pas, non-savoir dont je peux connaître un bout en m’engageant dans un travail de parole. Car l’inconscient, c’est ce qui surgit à mon insu, lapsus, acte manqué, mot d’esprit, rêve : manifestations qui permettent d’en faire l’hypothèse. L’inconscient se loge aussi dans ma façon de parler, par exemple dans les erreurs de langage qui témoignent, aussi, de ma propre vérité, de la jouissance de ce que Lacan a appelé Lalangue.
La psychanalyse fait toujours le pari du sujet, et met le fait (le traumatisme) en second. Ce qui laisse au sujet la possibilité de le transformer, de symboliser ce Réel, de l’intégrer dans son histoire, et donc de modifier de manière radicale sa manière d’appréhender ce fait, brut, et souvent brutal, bref de changer sa destinée. La seule manière pour ne plus être assujetti à ce traumatisme, quel qu’il soit, c’est d’en prendre la responsabilité, de prendre la responsabilité de son inconscient, et ce, en s’engageant dans la parole, dans un travail qui n’a rien à voir avec cette exhibition qui prend des allures, bien souvent, de vengeance et de revanche. Se venger n’est pas se séparer, c’est tout le contraire. Se dire victime de l’autre, c’est assurément y rester fixer toute sa vie, sans aucune possibilité de s’en dégager, de prendre une autre direction, d’inventer.
Ainsi la psychanalyse se trouve comme discours être l’envers de celui de la victimologie. Elle fait cette offre au sujet : d’adresser dans une temporalité longue sa parole à l’analyste qui, au fil du temps, des séances, par son interprétation, par son dire, par ce qu’il entend derrière ce qui se dit, pourra permettre au sujet de se défaire des fixations langagières qui sont les siennes et de voir son passé Autrement. Bref là où la victimologie, en rendant l’Autre tout-puissant (cause de mon malheur), empêche tout travail de deuil, la psychanalyse promeut sa traversée de manière à pouvoir réinvestir la vie, et la relation aux autres, et ce de façon radicalement différente.
Une psychanalyse, à l’envers du discours capitaliste qui vient suturer le manque avec l’objet qu’il vous faut et qui va vous rendre heureux, est un travail de perte, de deuil. La psychanalyse n’est pas sans savoir cela, que seule la perte permet de s’y retrouver dans son désir. Mais qui est véritablement prêt pour ce travail ?